Une nouvelle fois, la question du « voile » agite l'opinion, en
plein coeur de l'été, à la suite d'un rapport du Haut Comité de l'intégration
en forme de testament, et qui a été diffusé avant d’avoir été rendu public. Il
fait le constat que les universités, le nombre des jeunes filles voilées est en
plein essor, en même temps que se multiplient les associations culturelles,
paravents d'un prosélytisme actif. Il propose donc de prohiber dans les
établissements d'enseignement supérieur "les
signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse". Toutefois cette question est
encadrée par une loi qui a été votée en 2004 après des débats houleux dans la
société et au Parlement. Celle-ci interdit le port de tout signe religieux
ostensible dans les collèges et lycées, mais ne dit rien des universités où
seul le voile intégral est prohibé depuis 2011, comme dans tous les lieux
publics français. Il n'appartient pas aux présidents d'université et à leurs
conseils d'en décider autrement. Tout recours à une éventuelle réglementation
antivoile dans ces établissements serait facilement gagné par les contrevenants.
On consultera avec profit le billet particulièrement
mesuré que vient de publier le géographe Jean-Robert
Pitte, ancien président de l'université Paris-Sorbonne dans le quotidien "Le Monde" du 9/08/2013.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/08/09/signes-religieux-a-l-universite-les-vertus-d-une-laicite-apaisee_3459352_3232.html
Pour ma part, j’ai terminé ma
carrière en prenant en charge à l’université Rennes 2 le cours sur le « fait
religieux » à destination des étudiants de première année. Il est exact,
bien entendu, que des jeunes femmes porteuses du fichu islamique se trouvaient
dans l’amphi. Cela ne les empêchait pas (quitte à me valoir des mises en garde
ironiques de certains collègues) de solliciter des entretiens confidentiels à l’intérieur
de mon bureau à l’occasion des mes heures de permanence à l’intention des
étudiants. Voici quelques extraits du manuel qui reprend la teneur de ce cours
dans la collection « Didact Histoire ».

« Le mot même de
« religion » est d’ailleurs difficilement traduisible dans de
nombreuses langues où les missionnaires
chrétiens ont eu bien des difficultés à l’introduire. L’exemple de la langue
douala (Cameroun) est particulièrement savoureux : on a traduit le terme « religion »
par ebassi (« petit fichu »), parce que les missionnaires
demandaient aux femmes de se couvrir la tête dans un lieu de culte. C’est
l’occasion de remarquer que le foulard (la
mantille ou le chapeau, sans parler de la cornette des religieuses) porté
naguère par les femmes dans les églises [et les bonnes sœurs à la faculté] disparaît
alors qu’apparaît le voile « islamique » dans l’actualité. Le port du voile est attesté au Proche-Orient, plus
de quinze cents ans avant le prophète Mahomet, dans la législation assyrienne (attribuée
à Téglath Phalazar Ier – XIe s av. J.-C.) qui interdit aux épouses et aux filles
d'hommes libres ainsi qu’aux hiérodules (« prostituées sacrées ») de
sortir « la tête découverte »
comme les esclaves ou des prostituées. La Bible atteste que ce même usage
s’imposait aux « femmes honnêtes » pour se distinguer des
« filles faciles » et le
christianisme a pris le relai, conformément à la prescription de saint Paul aux
Corinthiens « Toute femme qui
prie ou prophétise le chef découvert fait affront à son chef ; c'est exactement
comme si elle était tondue. » (1Co 11,
5-6). Demandez donc aux dernières bigoudènes en coiffe quel effet cela leur
aurait fait de sortir « en cheveux », et rappelez-vous des
malheureuses tondues à la Libération ! C’est sur cet arrière-plan qu’il
faut lire les sourates du Coran qui prescrivent au Prophète :
« Dis à tes épouses, à tes filles et
aux femmes des croyants de rapprocher un pan de leur voile de leur visage, cela
est plus à même de les faire reconnaître [des femmes de condition
inférieure ?] et à leur éviter ainsi
d'être importunées » (sourate 33, verset 59). Récemment, en
France, la loi du 15 mars 2004 sur le « port des signes religieux
ostensibles dans les établissements publics » a tranché au nom de la laïcité en interdisant le « voile
islamique » (hidjab,
tchador, fichu, foulard), au même
titre que la kippa, le turban sikh, ou les croix surdimensionnées. Toutefois,
en plaçant la question sur le terrain de la neutralité vis-à-vis des
religions, n’a-t-on pas occulté un autre aspect de celle-ci ? Cette coutume trois fois millénaire (pour
le moins) n’implique-t-elle pas
pour la femme un statut incompatible avec le principe de l’égalité des
sexes ?
L’intérêt de cette affaire du voile
pour notre propos est de soulever les problèmes que pose aujourd’hui encore
l’ambiguïté du terme « religion ». Si ce concept existe dans
certaines civilisations comme la nôtre, c’est précisément parce qu’il
correspond à un secteur déterminé de la vie sociale, avec des limites bien
précises qui le distinguent des activités profanes ou séculières. Par contre,
si le mot « religion » ne se rencontre pas dans beaucoup de langues,
ce n’est parce que les cultures concernées sont sans religion, c’est plutôt que
celle-ci se distingue mal de l’ensemble des activités humaines. D’une
certaine manière, tout est religieux : la religion n’a pas de domaine propre.
Pour beaucoup de nos contemporains, il va de soi que le « fait
religieux » ne se définit pas comme une catégorie bien individualisée mais
qu’il se confond dans un tout : l’identité religieuse va alors de pair
avec une identité ethnique, culturelle ou sociale. Il n’y a pas forcément, en
matière de foi, de choix personnel conscient : il s’agit d’un ensemble de
valeurs et de croyances à l’intérieur duquel se situent les croyants et
qui les façonne totalement. » ( Bernard MERDRIGNAC, Le fait
religieux. Une approche de la chrétienté médiévale, Rennes, PUR, 2009).
Pour terminer cet article, je cite,
sans vergogne, quelques passages de Comptes-Rendus dont a bénéficié l’ouvrage.
- « Plus qu’un écrit d’histoire de
l’Eglise ou qu’un livre d’historien médiéviste, l’ouvrage se veut donc
d’actualité. Il conforte ceux qui ont les idées déjà claires et initie ceux qui
ne les ont pas. Il prétend débusquer les idées fausses et entend dénoncer les
confusions. Il prend place dans le débat public. » (Le Moyen
Age, 116, 2010).
- « B. Merdrignac, professeur à
l’université Rennes II, est bien connu pour ses travaux sur l’histoire de la
Bretagne médiévale. Mais on lui doit aussi La vie religieuse en France au Moyen
Âge (2e éd. Paris, 2005). Il reprend ses recherches en présentant une synthèse
sur le fait religieux dans la Chrétienté médiévale. . Cela
dit, il faut féliciter notre collègue de ce livre qui, modestement, ne se veut
qu’une « approche » de la chrétienté médiévale et lui souhaiter bon succès. » (Cahiers de Civilisation Médiévale, 54, 2011).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire