dimanche 6 octobre 2013

Sainte Claire, "bonne docteure": la féminisation des titres...

En avril 2013, à propos de l’emploi du terme « homesse » dans un acte du XIVe siècle de l’abbaye de Boquen [22], on avait soulevé avec le sourire sur ce « Blog » la question de la « féminisation des titres » au Moyen Âge (et de la « gender history »).
L’opportunité de revenir sur le sujet est aujourd’hui offerte par la publication, en septembre 2013, de Jacques Dalarun et Armelle Le Huërou  dir. et trad., Claire d'Assise, Ecrits,Vies, témoignages,  préf. d’ André Vauchez, intro. de Maria Pia Alberzioni, Alfonso Marini et Marco Bartoli, Paris, Cerf - Éditions franciscaines.
 Dans la ligne du Totum (François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages) publié en deux volumes sous la dir. de Jacques Dalarun en 2010, le superbe travail effectué à présent par Jacques Dalarun et Armelle Le Huërou  se distingue par la qualité des traductions et l’appareil de notes qui éclaire les difficultés des textes présentés sur plus d’un millier de pages.

Armelle Le Huërou prend en charge, entre autres, la  Légende versifiée de sainte Claire  (1255). Le chapitre XXIX, consacré à la « Formation quotidienne des sœurs par elle et par les prédicateurs » [p. 447] s’ouvre sur ces vers :
"Claire, docteure des jeunes filles et maitresse des simples,
A préserver le troupeau qui lui a été confié, à rompre pour lui le pain
De vie, à lui offrir les aliments du salut
Consacre assidument ses plus grands efforts..."
 En écho, Jacques Dalarun propose [p. 721] la traduction suivante des vers de la douzième strophe des Joies de Claire  (hymne composé au couvent de Nuremberg entre 1350 et 1380) :
 "Réjouis-toi, Claire, bonne docteure.
A tes filles, comme une couronne,
Tu présides par ta sainteté..."

En note, les deux chercheurs précisent que le terme latin, doctrix, féminin de doctor, est pris ici au sens d’  « enseignante ». C’est ainsi que leur choix de traduire doctrix par « docteure » recoupe la polémique à propos de la féminisation des noms de métier, fonction, grade et titre a animé les débats ces dernières années.
Une rapide enquête sur internet confirme que, « dès l’origine, les métiers valorisés, étaient sexués ». Au XVe siècle, l’Évangile des Quenouilles mentionne les doctoresses. Il ne s’agit pas ici de femmes qui soignent, mais de « femmes qui enseignent la doctrine, de femmes lettrées » (bref de « docteure », selon les sources clariennes). Il faut cependant attendre le XIXe siècle. (« diplômes de doctoresses», dans une Revue médicale, 1855), pour trouver le titre de « doctoresse » au sens de « femme médecin ». Le Dictionnaire de l’Académie (1932) l’admet, mais préfère « femme docteur ».
Ce n’est qu’au tournant du XXIe siècle qu’avec plus ou moins de conviction selon les pays francophones sont débattues des « Règles de féminisation ».Renvoyons à l’article précédent d’avril 2013 (« Homesse et hommasse ») pour davantage de détails savoureux. Il suffit de rappeler ici que « Quelle que soit la forme de féminisation choisie, le déterminant devient féminin lorsqu’il s’agit d’une femme : une auteur, une auteure ou une autrice ; une écrivain ou une écrivaine; une docteur une doctoresse ou une docteure, etc. ».

lundi 30 septembre 2013

VIENT DE PARAITRE...


Madame Luce Pietri, votre nom est indissociable d’une entreprise scientifique aussi ambitieuse que prometteuse connue des « initiés » sous le nom de P.C.B.E., à savoir la Prosopographie Chrétienne du Bas Empire ? Que recouvre exactement cette appellation et comment est né un tel projet ? Mais en tout premier lieu, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est une « prosopographie » ?

La prosopographie est l’étude de personnages (c’est le sens de prosôpon en grec) appartenant à une même catégorie préalablement définie comme l’est aussi la période prise en considération.
La Prosopographie chrétienne du Bas-Empire (PCBE) a été fondée en 1951, sous le patronage de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, par H. I. Marrou et J.-M. Palanque, à la suite d’un partage des tâches opéré en accord avec des chercheurs britanniques : tandis que ces derniers se chargeaient de recenser les membres de l’élite civile et militaire de l’Empire romain, il revenait à l’entreprise française de consacrer, dans le même temps de l’histoire, une notice, par ordre alphabétique, à tous les membres du clergé et des milieux monastiques ou ascétiques ainsi qu’aux laïcs ayant joué un rôle dans la vie de l’Église, selon un recensement qui devait s’opérer, étant donné le nombre très élevé des personnages, par grands secteurs géographiques.

Après l’Afrique, l’Italie, l’Asie, on nous annonce la parution prochaine du volume consacré à la Gaule, volume dont vous avez été la cheville-ouvrière. On pressent bien qu’une entreprise aussi vaste a nécessité un travail d’équipe. Comment s’est déroulé ce travail à « plusieurs mains » et depuis combien de temps mobilise-t-il votre attention et votre énergie ?
De même que ceux qui l’ont précédé pour l’Occident, cet ouvrage est issu d’une enquête collective menée au sein d’une équipe d’historiens du Centre Lenain de Tillemont, dont j’ai assuré la direction avec le concours de Marc Heijmans, ingénieur au CNRS, l’entreprise reposant ainsi pour une bonne part sur nos deux personnes. Mais, plusieurs enseignants-chercheurs, les uns rattachés au Centre Lenain de Tillemont, d’autres à titre bénévole, ont apporté, en raison de leurs compétences personnelles, des contributions majeures à la recherche prosopographique : ainsi J. Desmulliez pour les correspondants gaulois de Paulin de Nole, B. Merdrignac pour les saints armoricains ou F. Prévot pour Sidoine Apollinaire et ses correspondants. Cependant, aucune des notices de cet ouvrage ne saurait être signée d’un nom particulier. En effet, présentées à l’occasion de séminaires de travail régulièrement réunis, elles ont été très souvent, grâce aux critiques et aux suggestions des membres de l’équipe, activement présents, mises au point et enrichies, avant d’être ensuite révisées et harmonisées entre elles par les soins des directeurs de l’entreprise.
(Propos recueillis par Cécilia Belis-Martin).

 

vendredi 27 septembre 2013

Chambres d'hôtes à Cordes-sur-ciel. Claude et Michel plongent, la panse pleine, dans le le passé médiéval.

LA DEPECHE - Publié le 10/05/2013

 
La télé est venue tourner dans leur demeure médiévale, à Cordes-sur-ciel, une bonne dizaine de jours dans le cadre de l'émission «Bienvenue chez nous» sur TF1. Claude et Michel Arquey, installés depuis 8 ans dans le Tarn, ont accueilli dans leurs chambres d'hôte de «L'Escuelle des chevaliers» trois autres couples de propriétaires de maisons d'hôte. Ces derniers, à tour de rôle, ont rendu l'invitation. Chaque couple doit juger et noter ses hôtes.
 
 
L'occasion rêvée de découvrir un couple pas tout à fait comme les autres qui a décidé de troquer son mobilier moderne pour des armures, cottes de maille, hallebardes, épées et lits à baldaquin. À l'Escuelle des chevaliers, on vit et on mange comme au XIIIe siècle.
Leurs cinq chambres d'hôtes, nichées dans une bâtisse de 1 000 m2, juste en dessous du Grand Écuyer, valent le détour. Mais, c'est l'ambiance, chargée d'histoire, qui séduit avant tout. Claude et Michel, qui baignent dans le Moyen âge du matin au soir, proposent à leurs visiteurs de revêtir des vêtements d'époque pour le dîner, d'époque également. Michel a puisé des recettes dans les grimoires de cuisine de l'époque médiévale. Nourriture et vins sont épicés, comme à l'époque des seigneurs et le service s'effectue en tenue.
«Parfois, les salles sont emplies de gens en costumes. Il suffit qu'un couple soit habillé et tout le monde s'y met.», confie Michel qui initie, également, ses hôtes à l'escrime médiévale. Un bon conseil, mieux vaut réserver pour faire ripaille en fin de semaine et se plonger, la panse pleine, dans le Moyen âge.
 
 

jeudi 22 août 2013

Sortie de La Paroisse. Communauté et territoire...

 Comme cela a été annoncé sur ce Blog voici un mois, vient de sortir en librairies ce jeudi 22/08:

                                  http://pur-editions.fr/detail.php?idOuv=3246

vendredi 9 août 2013

Le fait religieux. Une approche de la chrétienté médiévale


Une nouvelle fois, la question du « voile » agite l'opinion, en plein coeur de l'été, à la suite d'un rapport du Haut Comité de l'intégration en forme de testament, et qui a été diffusé avant d’avoir été rendu public. Il fait le constat que les universités, le nombre des jeunes filles voilées est en plein essor, en même temps que se multiplient les associations culturelles, paravents d'un prosélytisme actif. Il propose donc de prohiber dans les établissements d'enseignement supérieur "les signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse". Toutefois cette question est encadrée par une loi qui a été votée en 2004 après des débats houleux dans la société et au Parlement. Celle-ci interdit le port de tout signe religieux ostensible dans les collèges et lycées, mais ne dit rien des universités où seul le voile intégral est prohibé depuis 2011, comme dans tous les lieux publics français. Il n'appartient pas aux présidents d'université et à leurs conseils d'en décider autrement. Tout recours à une éventuelle réglementation antivoile dans ces établissements serait facilement gagné par les contrevenants. On consultera avec profit le billet particulièrement mesuré que vient de publier le géographe Jean-Robert Pitte, ancien président de l'université Paris-Sorbonne dans le quotidien "Le Monde" du 9/08/2013.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/08/09/signes-religieux-a-l-universite-les-vertus-d-une-laicite-apaisee_3459352_3232.html


Pour ma part, j’ai terminé ma carrière en prenant en charge à l’université Rennes 2 le cours sur le « fait religieux » à destination des étudiants de première année. Il est exact, bien entendu, que des jeunes femmes porteuses du fichu islamique se trouvaient dans l’amphi. Cela ne les empêchait pas (quitte à me valoir des mises en garde ironiques de certains collègues) de solliciter des entretiens confidentiels à l’intérieur de mon bureau à l’occasion des mes heures de permanence à l’intention des étudiants. Voici quelques extraits du manuel qui reprend la teneur de ce cours dans la collection « Didact Histoire ».

 « Le mot même de « religion » est d’ailleurs difficilement traduisible dans de nombreuses langues où  les missionnaires chrétiens ont eu bien des difficultés à l’introduire. L’exemple de la langue douala (Cameroun) est particulièrement savoureux : on a traduit le terme « religion » par ebassi (« petit fichu »), parce que les missionnaires demandaient aux femmes de se couvrir la tête dans un lieu de culte. C’est l’occasion de remarquer que le foulard (la mantille ou le chapeau, sans parler de la cornette des religieuses) porté naguère par les femmes dans les églises [et les bonnes sœurs à la faculté] disparaît alors qu’apparaît le voile « islamique » dans l’actualité. Le port du voile est attesté au Proche-Orient, plus de quinze cents ans avant le prophète Mahomet, dans la législation assyrienne (attribuée à Téglath Phalazar Ier – XIe s av. J.-C.) qui interdit aux épouses et aux filles d'hommes libres ainsi qu’aux hiérodules (« prostituées sacrées ») de sortir « la tête découverte » comme les esclaves ou des prostituées. La Bible atteste que ce même usage s’imposait aux « femmes honnêtes » pour se distinguer des « filles faciles » et le christianisme a pris le relai, conformément à la prescription de saint Paul aux Corinthiens « Toute femme qui prie ou prophétise le chef découvert fait affront à son chef ; c'est exactement comme si elle était tondue. » (1Co 11, 5-6). Demandez donc aux dernières bigoudènes en coiffe quel effet cela leur aurait fait de sortir « en cheveux », et rappelez-vous des malheureuses tondues à la Libération ! C’est sur cet arrière-plan qu’il faut lire les sourates du Coran qui prescrivent au Prophète : « Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de rapprocher un pan de leur voile de leur visage, cela est plus à même de les faire reconnaître [des femmes de condition inférieure ?] et à leur éviter ainsi d'être importunées » (sourate 33, verset 59). Récemment, en France, la loi du 15 mars 2004 sur le « port des signes religieux ostensibles dans les établissements publics »  a tranché au nom de la laïcité  en interdisant le « voile islamique » (hidjab, tchador, fichu, foulard), au même titre que la kippa, le turban sikh, ou les croix surdimensionnées. Toutefois, en plaçant la question sur le terrain de la neutralité vis-à-vis des religions, n’a-t-on pas occulté un autre aspect de celle-ci ?  Cette coutume trois fois millénaire (pour le moins) n’implique-t-elle pas  pour la femme un statut incompatible avec le principe de l’égalité des sexes ?
L’intérêt de cette affaire du voile pour notre propos est de soulever les problèmes que pose aujourd’hui encore l’ambiguïté du terme « religion ». Si ce concept existe dans certaines civilisations comme la nôtre, c’est précisément parce qu’il correspond à un secteur déterminé de la vie sociale, avec des limites bien précises qui le distinguent des activités profanes ou séculières. Par contre, si le mot « religion » ne se rencontre pas dans beaucoup de langues, ce n’est parce que les cultures concernées sont sans religion, c’est plutôt que celle-ci se distingue mal de l’ensemble des activités humaines. D’une certaine manière, tout est religieux : la religion n’a pas de domaine propre. Pour beaucoup de nos contemporains, il va de soi que le « fait religieux » ne se définit pas comme une catégorie bien individualisée mais qu’il se confond dans un tout : l’identité religieuse va alors de pair avec une identité ethnique, culturelle ou sociale. Il n’y a pas forcément, en matière de foi, de choix personnel conscient : il s’agit d’un ensemble de valeurs et de croyances à l’intérieur duquel se situent les croyants et qui  les façonne totalement. » ( Bernard MERDRIGNAC, Le fait religieux. Une approche de la chrétienté médiévale, Rennes, PUR, 2009).

Pour terminer cet article, je cite, sans vergogne, quelques passages de Comptes-Rendus dont a bénéficié l’ouvrage.
- « Plus qu’un écrit d’histoire de l’Eglise ou qu’un livre d’historien médiéviste, l’ouvrage se veut donc d’actualité. Il conforte ceux qui ont les idées déjà claires et initie ceux qui ne les ont pas. Il prétend débusquer les idées fausses et entend dénoncer les confusions. Il prend place dans le débat public. » (Le Moyen Age, 116, 2010).
- « B. Merdrignac, professeur à l’université Rennes II, est bien connu pour ses travaux sur l’histoire de la Bretagne médiévale. Mais on lui doit aussi La vie religieuse en France au Moyen Âge (2e éd. Paris, 2005). Il reprend ses recherches en présentant une synthèse sur le fait religieux dans la Chrétienté médiévale. . Cela dit, il faut féliciter notre collègue de ce livre qui, modestement, ne se veut qu’une « approche » de la chrétienté médiévale et lui souhaiter bon succès. » (Cahiers de Civilisation Médiévale, 54, 2011).

mardi 6 août 2013

Le Grand Bain sur « France Inter », le lundi 5 août 2013.


Les clés de la « Fantaisie » : dans le genre « Moyen Âge moyen-âgeux », difficile de faire mieux...

Pas la peine d’être un ado boutonneux pour aimer ces mondes fantastiques où se mêlent dragons, magie, elfes, gnomes et chevalerie. Ce matin, Le Grand Bain vous confie les clés de l’Heroic Fantasy : entre moyen âge de pacotille et légendes millénaires.
                             http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=669898

mercredi 24 juillet 2013

La Paroisse : communauté et territoire


Sous la direction de
Bernard Merdrignac,
Daniel Pichot,
Louisa Plouchart,
Georges Provost

 La Paroisse : communauté et territoire.
Constitution et recomposition du maillage paroissial.

En couverture:Asiago (Vénétie), la Grande Rogation.
Géographes et sociologues s’intéressent à la redéfinition du maillage paroissial  par les institutions ecclésiastiques afin de proposer, à partir d’antiques territoires, des constructions territoriales adaptées aux nécessités du monde actuel. Ces analyses recoupent les renouvellements en cours de l’historiographie de la paroisse. Si celle-ci est bien une construction médiévale, il semble se confirmer qu’elle a mis plusieurs siècles à prendre forme selon des modalités diverses. Dans cette perspective, le modèle tridentin de territorialisation paroissiale qui s’est imposé à l’époque moderne apparaît plutôt comme une parenthèse entre deux perceptions plus communautaires que territoriales de la paroisse. Archéologues, géographes sociaux, historiens, juristes, sociologues ont entrepris d’inscrire leurs contributions dans une démarche interdisciplinaire. Ils explorent ainsi l’hypothèse selon laquelle les facteurs qui interviennent aujourd’hui dans le démontage de ce système spatial   pourraient contribuer à éclairer les conditions de son montage (et réciproquement ?). 
 
Cet ouvrage collectif vient de sortir aux Presses Universitaires de Rennes. La mise en vente en librairie est prévue à partir du 22/08/2013.