dimanche 6 octobre 2013

Sainte Claire, "bonne docteure": la féminisation des titres...

En avril 2013, à propos de l’emploi du terme « homesse » dans un acte du XIVe siècle de l’abbaye de Boquen [22], on avait soulevé avec le sourire sur ce « Blog » la question de la « féminisation des titres » au Moyen Âge (et de la « gender history »).
L’opportunité de revenir sur le sujet est aujourd’hui offerte par la publication, en septembre 2013, de Jacques Dalarun et Armelle Le Huërou  dir. et trad., Claire d'Assise, Ecrits,Vies, témoignages,  préf. d’ André Vauchez, intro. de Maria Pia Alberzioni, Alfonso Marini et Marco Bartoli, Paris, Cerf - Éditions franciscaines.
 Dans la ligne du Totum (François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages) publié en deux volumes sous la dir. de Jacques Dalarun en 2010, le superbe travail effectué à présent par Jacques Dalarun et Armelle Le Huërou  se distingue par la qualité des traductions et l’appareil de notes qui éclaire les difficultés des textes présentés sur plus d’un millier de pages.

Armelle Le Huërou prend en charge, entre autres, la  Légende versifiée de sainte Claire  (1255). Le chapitre XXIX, consacré à la « Formation quotidienne des sœurs par elle et par les prédicateurs » [p. 447] s’ouvre sur ces vers :
"Claire, docteure des jeunes filles et maitresse des simples,
A préserver le troupeau qui lui a été confié, à rompre pour lui le pain
De vie, à lui offrir les aliments du salut
Consacre assidument ses plus grands efforts..."
 En écho, Jacques Dalarun propose [p. 721] la traduction suivante des vers de la douzième strophe des Joies de Claire  (hymne composé au couvent de Nuremberg entre 1350 et 1380) :
 "Réjouis-toi, Claire, bonne docteure.
A tes filles, comme une couronne,
Tu présides par ta sainteté..."

En note, les deux chercheurs précisent que le terme latin, doctrix, féminin de doctor, est pris ici au sens d’  « enseignante ». C’est ainsi que leur choix de traduire doctrix par « docteure » recoupe la polémique à propos de la féminisation des noms de métier, fonction, grade et titre a animé les débats ces dernières années.
Une rapide enquête sur internet confirme que, « dès l’origine, les métiers valorisés, étaient sexués ». Au XVe siècle, l’Évangile des Quenouilles mentionne les doctoresses. Il ne s’agit pas ici de femmes qui soignent, mais de « femmes qui enseignent la doctrine, de femmes lettrées » (bref de « docteure », selon les sources clariennes). Il faut cependant attendre le XIXe siècle. (« diplômes de doctoresses», dans une Revue médicale, 1855), pour trouver le titre de « doctoresse » au sens de « femme médecin ». Le Dictionnaire de l’Académie (1932) l’admet, mais préfère « femme docteur ».
Ce n’est qu’au tournant du XXIe siècle qu’avec plus ou moins de conviction selon les pays francophones sont débattues des « Règles de féminisation ».Renvoyons à l’article précédent d’avril 2013 (« Homesse et hommasse ») pour davantage de détails savoureux. Il suffit de rappeler ici que « Quelle que soit la forme de féminisation choisie, le déterminant devient féminin lorsqu’il s’agit d’une femme : une auteur, une auteure ou une autrice ; une écrivain ou une écrivaine; une docteur une doctoresse ou une docteure, etc. ».

lundi 30 septembre 2013

VIENT DE PARAITRE...


Madame Luce Pietri, votre nom est indissociable d’une entreprise scientifique aussi ambitieuse que prometteuse connue des « initiés » sous le nom de P.C.B.E., à savoir la Prosopographie Chrétienne du Bas Empire ? Que recouvre exactement cette appellation et comment est né un tel projet ? Mais en tout premier lieu, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est une « prosopographie » ?

La prosopographie est l’étude de personnages (c’est le sens de prosôpon en grec) appartenant à une même catégorie préalablement définie comme l’est aussi la période prise en considération.
La Prosopographie chrétienne du Bas-Empire (PCBE) a été fondée en 1951, sous le patronage de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, par H. I. Marrou et J.-M. Palanque, à la suite d’un partage des tâches opéré en accord avec des chercheurs britanniques : tandis que ces derniers se chargeaient de recenser les membres de l’élite civile et militaire de l’Empire romain, il revenait à l’entreprise française de consacrer, dans le même temps de l’histoire, une notice, par ordre alphabétique, à tous les membres du clergé et des milieux monastiques ou ascétiques ainsi qu’aux laïcs ayant joué un rôle dans la vie de l’Église, selon un recensement qui devait s’opérer, étant donné le nombre très élevé des personnages, par grands secteurs géographiques.

Après l’Afrique, l’Italie, l’Asie, on nous annonce la parution prochaine du volume consacré à la Gaule, volume dont vous avez été la cheville-ouvrière. On pressent bien qu’une entreprise aussi vaste a nécessité un travail d’équipe. Comment s’est déroulé ce travail à « plusieurs mains » et depuis combien de temps mobilise-t-il votre attention et votre énergie ?
De même que ceux qui l’ont précédé pour l’Occident, cet ouvrage est issu d’une enquête collective menée au sein d’une équipe d’historiens du Centre Lenain de Tillemont, dont j’ai assuré la direction avec le concours de Marc Heijmans, ingénieur au CNRS, l’entreprise reposant ainsi pour une bonne part sur nos deux personnes. Mais, plusieurs enseignants-chercheurs, les uns rattachés au Centre Lenain de Tillemont, d’autres à titre bénévole, ont apporté, en raison de leurs compétences personnelles, des contributions majeures à la recherche prosopographique : ainsi J. Desmulliez pour les correspondants gaulois de Paulin de Nole, B. Merdrignac pour les saints armoricains ou F. Prévot pour Sidoine Apollinaire et ses correspondants. Cependant, aucune des notices de cet ouvrage ne saurait être signée d’un nom particulier. En effet, présentées à l’occasion de séminaires de travail régulièrement réunis, elles ont été très souvent, grâce aux critiques et aux suggestions des membres de l’équipe, activement présents, mises au point et enrichies, avant d’être ensuite révisées et harmonisées entre elles par les soins des directeurs de l’entreprise.
(Propos recueillis par Cécilia Belis-Martin).

 

vendredi 27 septembre 2013

Chambres d'hôtes à Cordes-sur-ciel. Claude et Michel plongent, la panse pleine, dans le le passé médiéval.

LA DEPECHE - Publié le 10/05/2013

 
La télé est venue tourner dans leur demeure médiévale, à Cordes-sur-ciel, une bonne dizaine de jours dans le cadre de l'émission «Bienvenue chez nous» sur TF1. Claude et Michel Arquey, installés depuis 8 ans dans le Tarn, ont accueilli dans leurs chambres d'hôte de «L'Escuelle des chevaliers» trois autres couples de propriétaires de maisons d'hôte. Ces derniers, à tour de rôle, ont rendu l'invitation. Chaque couple doit juger et noter ses hôtes.
 
 
L'occasion rêvée de découvrir un couple pas tout à fait comme les autres qui a décidé de troquer son mobilier moderne pour des armures, cottes de maille, hallebardes, épées et lits à baldaquin. À l'Escuelle des chevaliers, on vit et on mange comme au XIIIe siècle.
Leurs cinq chambres d'hôtes, nichées dans une bâtisse de 1 000 m2, juste en dessous du Grand Écuyer, valent le détour. Mais, c'est l'ambiance, chargée d'histoire, qui séduit avant tout. Claude et Michel, qui baignent dans le Moyen âge du matin au soir, proposent à leurs visiteurs de revêtir des vêtements d'époque pour le dîner, d'époque également. Michel a puisé des recettes dans les grimoires de cuisine de l'époque médiévale. Nourriture et vins sont épicés, comme à l'époque des seigneurs et le service s'effectue en tenue.
«Parfois, les salles sont emplies de gens en costumes. Il suffit qu'un couple soit habillé et tout le monde s'y met.», confie Michel qui initie, également, ses hôtes à l'escrime médiévale. Un bon conseil, mieux vaut réserver pour faire ripaille en fin de semaine et se plonger, la panse pleine, dans le Moyen âge.
 
 

jeudi 22 août 2013

Sortie de La Paroisse. Communauté et territoire...

 Comme cela a été annoncé sur ce Blog voici un mois, vient de sortir en librairies ce jeudi 22/08:

                                  http://pur-editions.fr/detail.php?idOuv=3246

vendredi 9 août 2013

Le fait religieux. Une approche de la chrétienté médiévale


Une nouvelle fois, la question du « voile » agite l'opinion, en plein coeur de l'été, à la suite d'un rapport du Haut Comité de l'intégration en forme de testament, et qui a été diffusé avant d’avoir été rendu public. Il fait le constat que les universités, le nombre des jeunes filles voilées est en plein essor, en même temps que se multiplient les associations culturelles, paravents d'un prosélytisme actif. Il propose donc de prohiber dans les établissements d'enseignement supérieur "les signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse". Toutefois cette question est encadrée par une loi qui a été votée en 2004 après des débats houleux dans la société et au Parlement. Celle-ci interdit le port de tout signe religieux ostensible dans les collèges et lycées, mais ne dit rien des universités où seul le voile intégral est prohibé depuis 2011, comme dans tous les lieux publics français. Il n'appartient pas aux présidents d'université et à leurs conseils d'en décider autrement. Tout recours à une éventuelle réglementation antivoile dans ces établissements serait facilement gagné par les contrevenants. On consultera avec profit le billet particulièrement mesuré que vient de publier le géographe Jean-Robert Pitte, ancien président de l'université Paris-Sorbonne dans le quotidien "Le Monde" du 9/08/2013.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/08/09/signes-religieux-a-l-universite-les-vertus-d-une-laicite-apaisee_3459352_3232.html


Pour ma part, j’ai terminé ma carrière en prenant en charge à l’université Rennes 2 le cours sur le « fait religieux » à destination des étudiants de première année. Il est exact, bien entendu, que des jeunes femmes porteuses du fichu islamique se trouvaient dans l’amphi. Cela ne les empêchait pas (quitte à me valoir des mises en garde ironiques de certains collègues) de solliciter des entretiens confidentiels à l’intérieur de mon bureau à l’occasion des mes heures de permanence à l’intention des étudiants. Voici quelques extraits du manuel qui reprend la teneur de ce cours dans la collection « Didact Histoire ».

 « Le mot même de « religion » est d’ailleurs difficilement traduisible dans de nombreuses langues où  les missionnaires chrétiens ont eu bien des difficultés à l’introduire. L’exemple de la langue douala (Cameroun) est particulièrement savoureux : on a traduit le terme « religion » par ebassi (« petit fichu »), parce que les missionnaires demandaient aux femmes de se couvrir la tête dans un lieu de culte. C’est l’occasion de remarquer que le foulard (la mantille ou le chapeau, sans parler de la cornette des religieuses) porté naguère par les femmes dans les églises [et les bonnes sœurs à la faculté] disparaît alors qu’apparaît le voile « islamique » dans l’actualité. Le port du voile est attesté au Proche-Orient, plus de quinze cents ans avant le prophète Mahomet, dans la législation assyrienne (attribuée à Téglath Phalazar Ier – XIe s av. J.-C.) qui interdit aux épouses et aux filles d'hommes libres ainsi qu’aux hiérodules (« prostituées sacrées ») de sortir « la tête découverte » comme les esclaves ou des prostituées. La Bible atteste que ce même usage s’imposait aux « femmes honnêtes » pour se distinguer des « filles faciles » et le christianisme a pris le relai, conformément à la prescription de saint Paul aux Corinthiens « Toute femme qui prie ou prophétise le chef découvert fait affront à son chef ; c'est exactement comme si elle était tondue. » (1Co 11, 5-6). Demandez donc aux dernières bigoudènes en coiffe quel effet cela leur aurait fait de sortir « en cheveux », et rappelez-vous des malheureuses tondues à la Libération ! C’est sur cet arrière-plan qu’il faut lire les sourates du Coran qui prescrivent au Prophète : « Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de rapprocher un pan de leur voile de leur visage, cela est plus à même de les faire reconnaître [des femmes de condition inférieure ?] et à leur éviter ainsi d'être importunées » (sourate 33, verset 59). Récemment, en France, la loi du 15 mars 2004 sur le « port des signes religieux ostensibles dans les établissements publics »  a tranché au nom de la laïcité  en interdisant le « voile islamique » (hidjab, tchador, fichu, foulard), au même titre que la kippa, le turban sikh, ou les croix surdimensionnées. Toutefois, en plaçant la question sur le terrain de la neutralité vis-à-vis des religions, n’a-t-on pas occulté un autre aspect de celle-ci ?  Cette coutume trois fois millénaire (pour le moins) n’implique-t-elle pas  pour la femme un statut incompatible avec le principe de l’égalité des sexes ?
L’intérêt de cette affaire du voile pour notre propos est de soulever les problèmes que pose aujourd’hui encore l’ambiguïté du terme « religion ». Si ce concept existe dans certaines civilisations comme la nôtre, c’est précisément parce qu’il correspond à un secteur déterminé de la vie sociale, avec des limites bien précises qui le distinguent des activités profanes ou séculières. Par contre, si le mot « religion » ne se rencontre pas dans beaucoup de langues, ce n’est parce que les cultures concernées sont sans religion, c’est plutôt que celle-ci se distingue mal de l’ensemble des activités humaines. D’une certaine manière, tout est religieux : la religion n’a pas de domaine propre. Pour beaucoup de nos contemporains, il va de soi que le « fait religieux » ne se définit pas comme une catégorie bien individualisée mais qu’il se confond dans un tout : l’identité religieuse va alors de pair avec une identité ethnique, culturelle ou sociale. Il n’y a pas forcément, en matière de foi, de choix personnel conscient : il s’agit d’un ensemble de valeurs et de croyances à l’intérieur duquel se situent les croyants et qui  les façonne totalement. » ( Bernard MERDRIGNAC, Le fait religieux. Une approche de la chrétienté médiévale, Rennes, PUR, 2009).

Pour terminer cet article, je cite, sans vergogne, quelques passages de Comptes-Rendus dont a bénéficié l’ouvrage.
- « Plus qu’un écrit d’histoire de l’Eglise ou qu’un livre d’historien médiéviste, l’ouvrage se veut donc d’actualité. Il conforte ceux qui ont les idées déjà claires et initie ceux qui ne les ont pas. Il prétend débusquer les idées fausses et entend dénoncer les confusions. Il prend place dans le débat public. » (Le Moyen Age, 116, 2010).
- « B. Merdrignac, professeur à l’université Rennes II, est bien connu pour ses travaux sur l’histoire de la Bretagne médiévale. Mais on lui doit aussi La vie religieuse en France au Moyen Âge (2e éd. Paris, 2005). Il reprend ses recherches en présentant une synthèse sur le fait religieux dans la Chrétienté médiévale. . Cela dit, il faut féliciter notre collègue de ce livre qui, modestement, ne se veut qu’une « approche » de la chrétienté médiévale et lui souhaiter bon succès. » (Cahiers de Civilisation Médiévale, 54, 2011).

mardi 6 août 2013

Le Grand Bain sur « France Inter », le lundi 5 août 2013.


Les clés de la « Fantaisie » : dans le genre « Moyen Âge moyen-âgeux », difficile de faire mieux...

Pas la peine d’être un ado boutonneux pour aimer ces mondes fantastiques où se mêlent dragons, magie, elfes, gnomes et chevalerie. Ce matin, Le Grand Bain vous confie les clés de l’Heroic Fantasy : entre moyen âge de pacotille et légendes millénaires.
                             http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=669898

mercredi 24 juillet 2013

La Paroisse : communauté et territoire


Sous la direction de
Bernard Merdrignac,
Daniel Pichot,
Louisa Plouchart,
Georges Provost

 La Paroisse : communauté et territoire.
Constitution et recomposition du maillage paroissial.

En couverture:Asiago (Vénétie), la Grande Rogation.
Géographes et sociologues s’intéressent à la redéfinition du maillage paroissial  par les institutions ecclésiastiques afin de proposer, à partir d’antiques territoires, des constructions territoriales adaptées aux nécessités du monde actuel. Ces analyses recoupent les renouvellements en cours de l’historiographie de la paroisse. Si celle-ci est bien une construction médiévale, il semble se confirmer qu’elle a mis plusieurs siècles à prendre forme selon des modalités diverses. Dans cette perspective, le modèle tridentin de territorialisation paroissiale qui s’est imposé à l’époque moderne apparaît plutôt comme une parenthèse entre deux perceptions plus communautaires que territoriales de la paroisse. Archéologues, géographes sociaux, historiens, juristes, sociologues ont entrepris d’inscrire leurs contributions dans une démarche interdisciplinaire. Ils explorent ainsi l’hypothèse selon laquelle les facteurs qui interviennent aujourd’hui dans le démontage de ce système spatial   pourraient contribuer à éclairer les conditions de son montage (et réciproquement ?). 
 
Cet ouvrage collectif vient de sortir aux Presses Universitaires de Rennes. La mise en vente en librairie est prévue à partir du 22/08/2013.

 
 

mercredi 17 juillet 2013

Le Moyen Âge vu par le MEDEF…


Pierre Gattaz, nouveau président du MEDEF, pendant la « Matinale » de France Inter du mercredi 17 juillet 2013, est revenu sur son programme pour les années à venir. Tout à coup, alors que je buvais tranquillement mon café une allusion inattendue au Moyen Âge m’a fait dresser l’oreille ... et avaler de travers.

 
Par la suite, une recherche rapide sur un moteur de recherche m’a permis de constater que le « patron des patrons » était un récidiviste. Lors de sa campagne électorale au printemps dernier, il a déjà défini la « France qui gagne » comme celle « qui retrouve de l’enthousiasme, qui retrouve de l’innovation, qui retrouve des marchés du futur […] grâce à tous ces marchés de la santé, de la sécurité, du numérique, de l’énergie. … Il y a 3 milliards d’individus qui sortent du Moyen Âge et qui ont besoin de nos équipements, de nos services, de nos conseils... »

Il reprend quasiment les mêmes « éléments de langage » dans la présentation des journées de l'Université d'été du mouvement patronal, fin août prochain, à Jouy-en-Josas. « Nous passerons en revue les besoins sociétaux autour des grands marchés du futur : l'agroalimentaire, la santé, la sécurité, le développement durable […] Que peut-on apporter aux 3 milliards d'individus qui sortent du Moyen Âge sur les marchés émergents ?»

Bref, « A quoi ça sert que  les historiens du Moyen Âge, ils se décarcassent ? » On dirait qu’il leur reste encore bien du travail pour décaper clichés et lieux communs sur cette période.

dimanche 30 juin 2013

« Culture et enseignement dans la Bretagne du haut Moyen Âge ».



La journée d’étude annuelle du CIRDoMoC aura lieu le samedi 06 juillet 2013 à l’abbaye de Landévennec. En hommage à la mémoire de Louis Lemoine, elle aura pour thème :  « Culture et enseignement dans la Bretagne du haut Moyen Âge ».
 
Ouverte à tous, en voici le programme. Celui-ci est de grande qualité :

Voir le site de l'association :

http://www.cirdomoc.org/spip.php?article93

 

lundi 24 juin 2013

Carole des Géants et Val des saints. Cherchez l'erreur...


Dans le Roman de Brut, Wace (v. 1100- ap. 1175), fait la promotion du site monumental de Stonehenge. Merlin décrit en ces termes au roi Arthur la « Carole des Géants »:
«[…] Se tu veus faire oevre durable
Qui mult soit bele et convenable
Et dont à tos jors soit parole ,

Fai ci aporter la carole  
Que gaiant firent en Irlande:
Une mervillese oevre grande

De pierres en un cerne asises ,
Les unes sor les altres mises.
Les pières sont teles et tantes
Et si grosses et si pesantes
Que force d’ome qui or soit,
Nule d’eles ne porteroit
[…]
Sous la gouverne de Merlin, les Bretons procèdent au tranfert du monument. A cette occasion, le roi rend aux saints bretons l’hommage qui leur revient : 
 
Merlins, qui ert en la compaigne,
Les mena en une montaigne
Où la carole fu asise;

Si come Merlins ensaigna,
Si com il dist et comanda,
Ont li Breton les pières prises
As nés portées, et ens mises.

Après ont lor voiles levées,
Em Bretaigne les ont menées.
En Bretaigne droit arivèrent
A Anbresbère les portèrent
En la montaigne iloc dejoste.
Li rois i vint, à Pentecoste,
Ses évesques et ses abés
Et ses barons a tos mandés;
Altre gent assés assambla
Fèste tint, si se corona.
Trois jors tint feste et al quart
Dona croces par grant esgart
A saint Dubris de Karlion
Et d’Euroïc à saint Sanson;
Andui erent de grant clergie
Et andui mult de sainte vie.

Et Merlins les pières dreça
En lor ordre et les aloa
. »

Au service de ses commanditaires Plantagenêts, l’auteur anglo-normand du XIIe siècle, met ainsi en œuvre avec talent la "matière de Bretagne".  On taxera sans doute celui-ci d’une imagination débridée. Cependant nos contemporains ne sont pas en reste pour associer « saints bretons » et mégalithisme. Après avoir été qualifiée d’ « île de Pâques », voilà le projet pharaonique de « La Vallée des Saints », initié par Philippe Abjean en 2008, labelisé « futur Stonehenge breton » par la presse électronique :
« A Carnoët, dans les Côtes d’Armor, c’est déjà 27 statues qui ont été taillées par des sculpteurs de la région et érigées dans un cadre magnifique, surplombant la vallée de Saint-Gildas. Elles mesurent de trois à quatre mètres de haut et représentent chacune l’un des saints historiques bretons, ceux-là même qui ont fondé et évangélisé la Bretagne aux Ve et VIe siècles. »

Simultanément, les reportages sur la célébration du solstice d'été qui a réuni « 20 000 personnes à Stonehenge » font assaut d’approximations. Témoin ce coupé-collé, collecté à partir d’un moteur de recherches.

« Depuis près de 5000 ans », chaque solstice d’été attire les foules sur le « site préhistorique » de Stonehenge, érigé plus de 2000 ans avant notre ère. La manifestation perpétue « un rite celtique plusieurs fois millénaire ». La fête animée par des « druides celtes » est l’occasion d’une cérémonie païenne rythmée par les percussions durant la nuit la plus courte de l’année.

 
Au « Grand Jeu des 7 erreurs », il n’est pas sur que Wace soit le gagnant…

 

mercredi 19 juin 2013

Des drakkars à l'abordage du Lough Erne jusqu'à Landévennec.


Lundi 17 juin à l’ouverture du sommet du G8 sur le Lough Erne, dans le comté de Fermanagh en Irlande, des ONG ont affrétés deux drakkars vikings. A leur bord des militants affublés de "grosses têtes" à l'effigie des chefs d’états du G8 ont longé les rives du lac à proximité du centre de presse d'Enniskillen pour réclamer des actions fortes contre les paradis fiscaux.


Les voiles des drakkars escortées par des embarcations des forces de l’ordre portaient l’inscription : End Tax Dodging. Quel rapport entre les vikings et l'évasion fiscale ? Leur route serait-elle passée par Enniskillen ? La représentante d'une ONG répondait avec un certain détachement :
 ̶  "Ah, ça ? Rien... Juste pour le fun...plutôt sympa, n'est-ce-pas?"
Le Monde et sa journaliste (17/6/13) ignorent sans doute qu’Enniskillen Castle Museums propose un programme éducatif intitulé « The Vikings By Land & Sea ». Tout s’explique ! Parmi les activités de découvertes proposées à destination des scolaires, on trouve : 
« Lakeland Canoe Centre :
Using canoes, children will learn how Vikings sailed using square rigged sails discovering how Vikings overcame difficulties in sailing the oceans and developed new technology.»

 
Les militants des ONG se sont sans doute inspirés de ce programme pédagogique attractif. Les grandes entreprises qui échappent à l’impôt sont en effet comparées aux Vikings qui pillaient les ressources des pays qu’ils visitaient. Les « Normands »   sont perçus aujourd’hui dans l’imaginaire collectif comme des pirates sanguinaires. S’ils sont décrits de façon terrifiante par les chroniques médiévales, c’est que les abbayes où ont été rédigées ces sources étaient, à cause de leurs richesses, les cibles de leurs raids dévastateurs. Les Vikings furent cependant aussi synonymes de voyages  de découverte, notamment de l’Amérique, de légendes ou de civilisation mystérieuse.

Le G8 n’a pas organisé de réunion en Bretagne et les ONG n’ont pas prévu d’y débarquer dans les mois prochains. Pourtant, comme en Irlande, diverses manifestations sont organisées durant l’été 2013 pour marquer le onzième centenaire de l'incendie de l’abbaye de Landévennec par les Vikings en 913.
Du 28 avril  au 15 septembre 2013, au Musée de l’ancienne abbaye de Landévennec L’exposition « La Bretagne, les Vikings, et la bande-dessinée : mythes et réalités » s'interroge sur la création du mythe viking tout en faisant le bilan des connaissances actuelles sur cette civilisation. Des oeuvres originales de dessinateurs tels que Harold Foster (Prince Vaillant), Marc Védrines (La Saga des Brumes) ou Gwendal Lermercier (Durandal), y sont mises en regard du fonds patrimonial de la bibliothèque du monastère.
Mais c’est à Douarnenez qu’il faut se rendre paradoxalement pour découvrir un évangéliaire carolingien conservé à la médiathèque du Grand Troyes (MS 960), qui a quitté Landévennec en 913 lors de l’attaque des Normands. Il est revenu dans une valise pour la durée de l'exposition intitulée «La tombe Viking de Groix». Du 8 juin au 23 septembre, le Port-Musée de Douarnenez présente également une réplique des drakkars qui ont servi de tombes sur l'île de Groix, au large de Lorient. Un véhicule tractant une remorque est parti de la frontière entre l'Allemagne et le Danemark avec un langskip (= bateau viking)  attaché dessus pour rejoindre Douarnenez où il a été installé dans un décor évoquant l'abbaye  de Landévennec.
Vendredi 27 septembre, Auditorium de l’Abbaye Saint Guénolé (nouvelle abbaye) : Colloque « Landévennec, les Vikings et la Bretagne », organisé par l'Université de Bretagne Occidentale et le Centre de Recherche Bretonne et Celtique. Le colloque rend hommage à Jean-Christophe Cassard, professeur d'histoire médiévale à l'Université de Bretagne Occidentale qui vient de nous quitter. Spécialiste du Haut Moyen âge, il a étudié, en particulier, la présence des Vikings en Bretagne. J.-C. Cassard est notamment l’auteur du Siècle des Vikings en Bretagne.

vendredi 14 juin 2013

"Du passé, faisons table rase"... Le mythe du "génocide originel": du Moyen Age à nos jours.


 

Le texte primitif de l’Historia Brittonum, chronique attribuée à Nennius et compilée en Gwynned (Pays de Galles) vers 830, a souvent été interpolé. Une glose conservée par deux manuscrits du XIIIe siècle revient sur le surnom des Letewicion («Létaviens») attribué aux Bretons armoricains pour en donner une étymologie fabuleuse (semi-tacentes). Le terme se décomposerait en led-tewi (led : « moitié » et tewi : « se taire ») parce que « les Bretons armoricains parlent confusément ». L’interpolateur évoque ainsi la légende du « génocide originel » que Le Rêve de Maxime (Breudwyt Maxen) associe au personnage de Kynan (= Conan Mériadec). Complice de Maxime dans sa conquête du continent, ce dernier aurait massacré tous les indigènes mâles de la péninsule. « Alors Kynan (= Conan) dit à son frère Adéon : "Que veux-tu, demeurer dans ce pays ou retourner au pays dont tu viens ?". II fut d'avis de retourner au pays et beaucoup d'hommes avec lui. Kynan resta avec l'autre partie pour l'habiter. Ils résolurent de couper les langues des femmes pour que leur langue ne fût pas corrompue. Du fait que les femmes étaient silencieuses, on les appela Létaviens [jeu de mot sur Llydaw / Letavia], Et par la suite vinrent et viennent encore de Bretagne des hommes parlant cette langue. ».  Ce mythe ethniciste dont les racines remontent aux xie-xiie siècles constitue par la suite « une pièce importante, sinon essentielle, d'un certain "nationalisme" cultivé dans des milieux proches de la cour ducale de François II (1458-1488) et de ses prédécesseurs immédiats » (Cf. Jean-Christophe Cassard, « Le génocide originel: Armoricains et Bretons dans l'historiographie bretonne médiévale », Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, vol. 90/3 (1983), p. 416).
L'Histoire des rois de Bretagne de Geoffroy de Monmouth articule  la légende de Conan avec celle de sainte Ursule.

 

Avec la vogue des analyses ADN, le motif du « génocide originel »

reprend du service en Irlande.

Témoin cet article récent du Irish Times :  

 

« A controversial theory holds invaders from Iberia may have massacred much of Ireland’s male population. Did you know Ireland has the highest concentration of men with the R1b DNA marker? No fewer than 84 per cent of all Irish men carry this on their Y chromosome. While this marker is also high on male Y chromosomes in parts of Britain, particularly Wales, according to commercial ancestry testing company IrelandsDNA, the high prevalence here may indicate the arrival of a lot of people at a broadly similar time who weren’t prepared to peacefully co exist with the settlers here.




The remains of a Bronze Age body found in Collinstown, Co Westmeath.

“The high prevalence rates have always perplexed Irish geneticists and historians,” says Alastair Moffat of Irelands DNA. The firm’s research proposes a new hypothesis. There is already established evidence suggesting that the first farmers, (carrying the Y chromosome lineage of ‘G’, which can be found across Europe) arrived in Kerry about 4,350BC.
 According to Irelands DNA, the so called ‘G-Men’ may have established farming in Ireland “but their successful culture was almost obliterated by what amounted to an invasion, even a genocide, some time around 2,500BC” (the frequency of G in Ireland is now only 1.5 per cent) […]. This strongly suggests incoming groups of men. Because the R1b marker is still so prevalent in Ireland and is also frequently found in places like France and northern Spain we believed that around 2,500 BC, the R1b marker arrived in Ireland from the south.”

Moffat admits it is just a hypothesis but cites connections which lead to this theory. “ The first signs of farming in Ireland were found on the Dingle peninsula in Kerry, which suggests people coming from the south,” he says. “If you look at Lebor Gabála Érenn (=The Book of the Taking of Ireland, a Middle Irish collection recounting mythical origins of life in Ireland dating from the 11th century) most of the invasions come from the south.” The southern migrants referred to by Moffat were the Beaker people, originating from Iberia. [...] Moffat cites archaeological evidence, from the Copper Age, to suggest this movement. […]  How did these new people impose themselves in such a big way,” he asks. “It has to have been through conflict. The early people were farmers so they invested generations of effort in improving the land. When these new people show up they must have used violence to shift the ‘G-Men’. The frequency of ‘G-Men’ is tiny in Ireland. Compare the statistics: 1 per cent versus 84 per cent.”
 Not everyone is convinced, however. “What they [= IrelandsDNA] are suggesting is based on a very strong interpretation of a small piece of a genetic pattern,” says Prof Dan Bradley from the Smurfit Institute of Genetics. “There’s no real scientific evidence to warrant the use of terms like ‘genocide’. You can’t link modern genetic variation securely through archaeological strata without ancient DNA testing also. You can certainly have conjecture and there are indeed ways of looking at the time and depth of these things. But they have very wide margins for error. […]
“Sure there were a lot of population movements and mixing going on at this time. That’s why modern people don’t look like neolithic people, genetically speaking, but it would have had minimal impact on the gene pool” he says. “You’re not going to have hundreds of thousands of people suddenly coming from Spain but you would definitely have had smaller groups coming in boats. Plus there’s no archeological proof of any massive warfare or battles here at that time. » (J. Holden,Is distinctive DNA marker proof of ancient genocide?” The Irish Times, Thu, Jun 13, 2013).

Voici une vingtaine d'années, j'ai arpenté un « enclos circulaire »  (= rath) en compagnie du farmer propriétaire du terrain. Celui-ci n'a pas manqué de me raconter The Book of the Taking of Ireland. Je ne sais toujours pas si mon guide y croyait vraiment ...ou s'il se payait aimablement ma tête !




 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 

 

samedi 8 juin 2013

Jacques Dalarun, Gouverner, c'est servir.

« Les premiers seront les derniers, les derniers seront les premiers ». Depuis l’apparition des moines en Occident, le renversement des pouvoirs hante les élites spirituelles de l’Église. Au XIIIe siècle, portés par une forte exigence de réforme, d’humilité et de pauvreté, François d’Assise (franciscains) puis Dominique de Guzmán (dominicains) – d’autres encore – inventent, pour leurs religieux, une forme de gouvernement « renversante ». Le chef d’une communauté doit se mettre au service de ceux qu’il guide et dirige. Ce devoir d’humilité est strictement codifié.
Utilisant des sources inédites, Jacques Dalarun fait revivre de manière vigoureuse les acteurs de cette révolution. Il permet d’assister « en direct » à des scènes frappantes où l’on « abaisse les puissants pour exalter les humbles ». Il met ainsi en valeur, dans le sillage de Michel Foucault, une tradition contestataire et politique judéo-chrétienne différente du modèle gréco-romain, et toujours à l’œuvre dans les démocraties du XXIe siècle.
 

samedi 1 juin 2013


Guérande. 14e édition de la Fête Médiévale : 1 - 2 juin 2013.


1488 - Anne respire...
Deux fillettes, sous bonne garde descendent d’une gabare. Bientôt, elles se retrouvent juchées sur de grands chevaux et partent au galop.
Le duc François II, leur père est malade. Les guerres, les complots l’ont épuisé. La Bretagne souffre, mais il a accordé à la future duchesse cette escapade en Presqu’île. Il sait qu’elle y sera joyeusement accueillie et que tout le peuple l’attend avec impatience.
Enfin un sourire, Anne respire. L’air de la mer la ravigote …. Elle pense avec délice aux tournois et danseries qui l’attendent à Guérande.
Anne respire …

L'argument de la fête moyen-âgeuse  guérandaise

ne mange pas de pain, cette année,

                      … mais ça ne manque pas de sel !


 
 
 

jeudi 23 mai 2013

A l'Université: des cours en anglais

...ou en latin ?

 

L’article 2 du projet de loi Fioraso sur l’enseignement supérieur prévoit d’assouplir la loi Toubon de 1994 (le français comme langue d’enseignement) en établissant deux exceptions : « pour la mise en œuvre d’un accord avec une institution étrangère ou internationale ou dans le cadre d’un programme européen ». La ministre de l’Enseignement supérieur justifie cette proposition par la volonté d’attirer des étudiants et professeurs étrangers.  La mesure provoque des débats passionnés.

En réaction à une note intitulée : «Loi Fioraso : les vrais chiffres de l’anglais à l’université»  par Sylvestre Huet, journaliste à Libération, un lecteur remet judicieusement le Moyen Âge sur le tapis afin de placer « un peu les choses en perspective »:

« J'ai rarement vu un débat qui est aussi mal posé, les intervenants mélangeant tout et rien. La vérité est que l'anglais joue le rôle de langue véhiculaire (cad de langue d'échange) dans le monde académique (enseignement supérieur, recherche), comme le latin au moyen âge. Faut-il une langue d'échange? Oui, évidemment, on ne peut pas demander à tous de parler 15 langues [...] Surtout, il faut bien comprendre que, dans la plupart des cas, les gens maitrisent le jargon technique de leur spécialité, sans plus. J'en connais qui sont capables de discuter d'astrophysique ou de neurologie en anglais, mais pas de commander quelque chose dans un restaurant. […] c'est justement le rôle que l'on demande à cette langue. »

Par contre,  sur le site de la Fondapol, sous le titre provocateur « Boutons l’anglais hors de France ! », les deux co-signataires, Julien Gonzalez et Christophe de Voogd, concluent allègrement leur article:  « L’on n’aura pas la cruauté de nommer ces grands esprits qui ont stigmatisé la « pauvreté linguistique » de l’anglais […] et de s’interroger sur ce qui l’emporte dans cette affaire : la sottise ou l’ignorance ? Il nous faudrait un Rabelais ou un Molière, ces « génies de notre langue » dont se réclament bien à tort ses tristes défenseurs, pour railler comme il le faudrait, cet archaïsme délétère qui revient régulièrement paralyser notre université et notre science à chaque fois que survient le défi d’une nouvelle modernité. Les mêmes, soyons en sûr, auraient prôné au Moyen Âge la « défense de la langue d’oil » contre le « tout-latin à l’université » et, à l’époque moderne, le maintien du même latin contre l’arrivée du « vulgaire » français ! »

Cherchez l’erreur ! En tout cas, gageons que ni Rabelais ni Molière n’auraient commis l’énorme bourde d’affirmer qu’au Moyen Âge la langue d’oil avait du rivaliser avec le « tout-latin » à l’université avant que celui-ci ne l’évince !   

lundi 20 mai 2013

 

Un miracle de saint Yves.

La cueillette du goémon en Trégor.


La fête de saint Yves (19 mai) est l'occasion de relire quelques ouvrages de Jean-Christophe Cassard.  Cet historien qui vient brutalement de nous quitter savait exploiter avec talent les actes du Procès de canonisation de l'official de l'évêché de Tréguier. Voici quelques titres de livres. La bibliographie de ceux-ci orientera le lecteur vers des articles plus spécialisés, le cas échéant.

Jean-Christophe Cassard, Saint Yves de Tréguier. Un saint du XIIIe siècle, Paris, Beauchesne, 1992.

Jean-Christophe Cassard, Jacques Dervilly et Daniel Giraudon, Les Chemins de saint Yves, Morlaix, Skol Vreizh, 1994.

Jean-Christophe Cassard et Georges Provost (dir.), Saint Yves et les Bretons. Culte, image, mémoire, 1303-2003, Rennes, PUR, 2004.

Edités par A. de La Borderie, les témoignages recueillis en 1330 constituent des sources exceptionnelles sur la société Trégoroise à la fin du XIIIe siècle. Auparavant, la Société des Bollandistes en avait publié des morceaux choisis dans les Acta Sanctorum (Mai, IV). J'en retiens ce passage qui contient (d'après le Glossaire de Du Cange) la première attestation du terme "goémon". On en déduit que ces algues servaient déjà à amender les cultures littorales au début du XIVe siècle.

 
Voici la traduction française que propose de ce texte Jean-Paul Le Guillou, Saint Yves - Enquête de canonisation. Ceux qui l’ont connu témoignent. Ceux qu’il a guéris racontent Teck Impressions, Saint-Brieuc, 2e éd., 2003.
(Le traducteur a choisi de  faire parler le témoin au style direct, sous-entendant les questions, supprimant les redites. Il s'est ainsi fixé pour objectif de donner à ce long compte-rendu d'audience, non seulement des dimensions plus modestes, mais surtout un peu de vie, sans pour autant altérer si peu que ce soit le témoignage. Je rectifie toutefois quelques erreurs de lecture par rapport au texte latin ci-dessus).
 
TEMOIN 94: Alain André, de la paroisse de Trédarzec, âgé de trente ans ou environ...
« Je me trouvais un jour sur le bord de la rivière maritime, près du port de Roc'h Du à proximité de la cité de Tréguier, en compagnie de trois autres enfants et nous avions recueilli un tas de cette herbe marine qu'on appelle goémon. J'étais monté sur ce tas dans les eaux de la rivière pour le ramener chez mon père, comme on pilote les navires. Je l'avais pourtant déjà mené par l'eau sur la distance d'un jet de pierre, mais le tas se défit et s'éparpilla parmi les eaux. Je tombai donc de mon tas dans la mer, croyant pouvoir rejoindre la terre à pied, mais je n'y parvins pas, l'eau étant très profonde. ».
 
L'enfant est sauvé de la noyade  à la suite de l'invocation de saint Yves par ceux qui assistaient à l'accident. Le témoignage se poursuit:
 
[…] « Je ne savais pas nager, et je ne le sais pas non plus maintenant. Je me tenais debout sur le tas, comme on se tient debout sur un bateau. »

          http://tv-tregor.com/spip.php?article287. Le flottage du goémon (4 novembre 2006).
 



Pour une meilleure intelligence de cette scène, il convient sans doute de consulter en ligne le reportage intitulé "Une drôme au sillon" sur "TV Trégor.com", la TV locale du Trégor-Goelo:
 
 « La drôme est une technique de ramassage et de transport du goémon que les anciens utilisaient pour ramener leur récolte à la rive. Dans le Trégor, cette technique de flottage du goémon fut utilisée jusqu’au début des années 60. A l’époque, il fallait plusieurs équipes de goémoniers pour couper, transporter l’algue et confectionner la drôme. Si les petites drômes se faisaient dans la journée, il fallait parfois 4 à 6 jours de travail pour confectionner les grosses qui pouvaient atteindre 10 m de diamètre. »

Il est tentant de traduire carrément ici le latin globus par "drome" (outil de goémonier). La fiche Pleubian (22) du site de l'Inventaire des CdA confirme cette lecture.

« Description
La drome est un radeau de goémon flottant, utilisée pour le transport des goémons en mer. Elle mesure environ 5 mètres de diamètre et 1, 50 mètre de profondeur. La drome est confectionnée à partir des algues collectées et fauchées à pied pendant le temps de la 'berz' : la collecte communautaire du goémon de rive, pendant le temps de l'hiver. Les algues sélectionnées sont l'ascopylum nodosum (« vawac'h ») et le fucus visiculus (« colac'h »), goémons qui flottent facilement. Le tas de goémon prend forme au bout de plusieurs jours. Il est lesté en attendant de pouvoir flotter, afin d'éviter la dispersion des goémons recouverts par la marée. Une fois le tas constitué, de forme circulaire, celui-ci est lacé avec une rosace de cordes en chanvre. La drome est ensuite perchée par au moins deux hommes à l'aide de grandes perches plombées, selon un mouvement particulier. La drome peut être accompagnée ou tirée par un bateau. Le bateau pouvait tirer plusieurs dromes à la fois (radeaux de goémons).
Historique
La pratique de la drome est attestée depuis le 13ème siècle par un témoignage de saint Yves, qui sauva un enfant de la noyade, en rivière de Tréguier. La drome est utilisée pour le transport des goémons en mer jusqu'à une rive abordable. L'usage de la drome est commun aux littoraux de certaines régions et de certains pays, comme le « Pays des abers » (Plouguerneau), les côtes du Sud-Ouest de l'Irlande et la Galice espagnole. La pratique des dromes a aujourd'hui disparu en Bretagne.»