jeudi 14 mars 2013

« Le pape François » 

La  « renonciation » de Benoît XVI a été l’occasion de revenir sur le précédent de Célestin V (1294) que Dante dénonçait comme le « Gran rifuto ». Les « Spirituels » franciscains qui saluaient en lui le « Pape angélique » prédit par Joachim de Flore furent persécutés par son successeur Boniface VIII (1294-1303) qui avait activement contribué à son éviction.
Le choix du nom de François par le cardinal Bergoglio élu sur le trône pontifical le mercredi 13 mars 2013 n’est donc pas anodin. Bien qu’une référence à François-Xavier (1506-1552), compagnon d’Ignace de Loyola et missionnaire en Asie, ne soit pas à écarter de la part de ce jésuite argentin, c’est, à juste titre semble-t-il, le « Poverello » qui a eu les honneur de la presse. Les journaux n’ont pas manqué d’évoquer largement l’idéal de pauvreté absolue et les aspirations écologiques avant la lettre de saint François d’Assise. C’est l’occasion de mettre en ligne sur ce « blog » des extraits d’un compte-rendu consacré à la collection des « Sources franciscaines » lancée en 2O1O, par les éditions franciscaines associées aux éditions du Cerf pour le huitième centenaire de la fondation de l’ordre franciscain.

Jacques DALARUN (dir.),  François d'Assise. Ecrits, Vies,  Témoignages, Paris, Cerf, "Sources Chrétiennes", 2 vol. 2010. 


Ces deux superbes volumes présentent un corpus élargi des écrits de François d’Assise, les premières Vies de celui-ci et des témoignages contemporains qui dessinent la figure de saint François. Signe des temps : les religieux, commanditaires de l’ouvrage, ont su s’effacer devant une équipe internationale de chercheurs reconnus à qui une entière liberté scientifique a été laissée. Jacques Dalarun s’est chargé de la coordination de cette entreprise monumentale. Véritable travail collectif, l’ouvrage est une parfaite réussite qui s’adresse autant aux spécialistes s’attachant à scruter les contradictions entre sources de nature diverse qu’à un plus large public cultivé en quête de spiritualité. Aujourd’hui, en effet, la traduction des sources médiévales (latines, pour l’essentiel, dans le cas présent) est la principale « raison sociale » du métier d’historien. Je souscrire à la formule percutante de J. Dalarun : « traduire est la métaphore du paradoxe historique » qui revient à « représenter » (c’est-à-dire rendre à nouveau présent) un passé définitivement enfui.
L’ensemble des sources retenues est ainsi accessible dans une version française adaptée à la nature de chacune, qui entend se faire l’écho de la langue de l’original dans sa rugosité ou dans son élégance, selon le cas. Chaque document bénéficie d’une présentation érudite qui contribue à replacer en perspective production textuelle et courants idéologiques dans le cadre de la « question franciscaine ». Comme il se doit, des notes détaillées apportent les informations nécessaires sur les lieux et les personnages. Elles mettent de plus en évidence les problèmes de traduction (les jeux de mot, en particulier, délicats à rendre d’une langue à l’autre) et rendent perceptible le caractère mouvant de la transmission manuscrite. Exemplaire de ces problèmes de réécriture et de leur importance historique, la Vita IIa (« Mémorial ») de Thomas de Celano qui a passé sa vie à composer des biographies de saint François est connue par deux témoins manuscrits qui diffèrent sensiblement. Ces deux versions sont ici présentées sur deux colonnes.
C’est le cas aussi de la Lettre aux clercs de François. Remonter aux sources (voire aux « sources des sources ») pour avancer dans la compréhension de François d’Assise implique de présenter chronologiquement les textes dans l’ordre de leur production afin de rendre compte de leur enchaînement. Naturellement, donc, l’ouvrage s’ouvre sur les « Écrits » de François, composés pour l’essentiel entre 1220 et 1226. Tout se passe comme si l’écrit lui servait à fixer « les directives spirituelles » alors qu’il se retire de la « direction des affaires » ; textes autographes puis textes dictés sont répartis selon leur teneur (louanges et prières, règles et exhortations, lettres). La partie centrale du recueil consacrée aux « Vies » et plus largement aux sources narratives adopte aussi autant que possible un classement chronologique. C’est pourquoi, les bulles pontificales sont ainsi présentées en interaction avec les légendes sur lesquelles leur influence est ainsi nettement perceptible. L’élargissement des perspectives permet de mettre en relation les diverses Vies composées par Thomas de Celano (dès 1228-1229) et celles composées par Bonaventure (que le chapitre général de 1266 a prétendu imposer) avec des sources précédemment négligées telles que les sources liturgiques (Légende de chœur ; Office de saint François) qui attestent de l’empreinte de François dans l’ordre et les recueils de Miracula qui témoignent de son impact sur la société. L’actualité de la recherche dont certains membres de l’équipe sont les acteurs directs donne lieu à des traductions renouvelées et à des introductions innovantes. C’est le cas de la réévaluation de la Légende ombrienne qui vient d’être attribuée par J. Dalarun à Thomas de Celano et antidatée d’une vingtaine d’années (entre 1237 et 1239). Plus récente encore, la mise au jour fortuite (en 2008, au fond d’une armoire) du Sexdequiloquium (« Discours en seize parties ») de Jean de Roquetaillade place les larges extraits traduits par A. Le Huërou « à la pointe de la recherche sur les auteurs frères mineurs du Moyen Âge tardif »,, comme le note S. Piron dans la présentation de ce document.
La dernière partie rassemblant une abondante sélection de « Témoignages » contemporains permet d’approfondir l’impact de François sur son temps. L’intitulé de cette section renonce à l’expression (pourtant généralement reçue) de Testimonia minora, dans la mesure où ce qualificatif s’applique aux frères « Mineurs » alors que la plupart de ces textes sont précisément extérieurs au courant franciscain. L’adjectif « franciscain » est donc réservé ici à ce qui touche François lui-même. Aucune des sources mises en œuvre, en effet, n’utilise le substantif « Franciscain » pour désigner ses disciples. Somme toute, l’ambiguïté sur la « minorité » de ceux-ci n’est-elle pas porteuse de sens ?
Giotto: le songe d'Innocent III (Basilique d'Assise).
Le souci de viser l’élégance de la traduction n’est pas sacrifié à l’objectif de serrer au plus près la langue originale. Une attention particulière est donc apportée au lexique médiéval. Il n’est plus question de rendre uniformément (comme on le faisait généralement) fraternitas, religio et ordo par « ordre », au risque d’estomper la dialectique entre « frères de la communauté » et Spirituels qui sous-tend les sources hagiographiques des xiiie-xive siècles. Pour conclure sur ce sujet crucial, la Compilation d’Assise se fait l’écho, sans doute par l’intermédiaire du frère Léon, de la parole de François qui au « chapitre des Nattes » (1221) proclame que le Seigneur a voulu qu’il soit unus novellus pazzus (« un nouveau fou ») rafraîchissant et actualisant par un triple italianisme le message de saint Paul dans la Ière épître aux Corinthiens sur la « folie de la croix ». Cette irruption savoureuse de la langue vulgaire pour faire ressortir les valeurs positives de la nouveauté. Dès le début des années 80 du siècle dernier J. Le Goff, avait mis en relief « le caractère nouveau de François et de son ordre » en un temps où s’estompait « la condamnation traditionnelle de la nouveauté ».
Ex. largement remaniés d’un CR paru dans les ABPO, 117-4 (2010).

Armelle Le Huërou, Jacques Dalarun, Olivier Legendre, À l’origine des Fioretti. Les Actes du bienheureux François et de ses compagnons, 2008.

 Parmi les récits consacrés à François d'Assise, aucun n'a atteint la notoriété des « Fioretti » qui ont fini par se confondre avec l'image même du « poverello ». On sait cependant depuis 1902 que le texte italien  n'est que la traduction d'un original latin, plus authentique et plus long rédigé entre 1327 et 1337. En somme, c’est encore la question de la circulation entre le latin de l’Église et ses transpositions « en langue vulgaire »  qui refait surface. Bien que connus des spécialistes depuis 1902, les Actus beati Francisci et sociorum eius n’avaient encore jamais bénéficié d’une française dont A. Le Huërou s’est chargée avec l’acribie qui la caractérise. Cette traduction rigoureuse et subtile, a bénéficié préalablement d’une édition séparée, de format plus modeste, dans la même collection.


Les Actes du bienheureux François et de ses compagnons ne sont pas une légende franciscaine au sens strict. Ils n'ont pas le seul François pour héros, mais aussi ses compagnons justifiant ainsi la position des Spirituels, frères mineurs partisans d'une application stricte de la Règle. Mais par rapport aux légendes antérieures, l'équilibre entre vie active et vie contemplative s'est inversé. Saint François, littéralement, décolle de terre, dans une extraordinaire légèreté de l'être à quoi l'ont préparé sa conception et sa pratique d'une pauvreté absolue: il est identifié au Christ, (alter Christus) comme aucune autre source n'avait osé le faire auparavant. Les auteurs des « Actes » ont fait le choix de la simplicité du style comme ils avaient fait le choix de la simplicité franciscaine. Sur le mode du conte, les « Actes » narrent une ascension toujours recommencée sur une échelle spirituelle projetant les frères vers François qui les entraîne à l'imitation de Jésus-Christ.

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