samedi 11 mai 2013

Des Scoti à Compostelle.

Dérobé en juillet 2011 dans la cathédrale de Compostelle le Codex Calixtinus a été récupéré un an plus tard par la Garde civile à l’occasion d’une perquisition chez un employé du chapitre. Ce célèbre manuscrit du XIIe siècle comporte, entre autres, un texte attribué à Aimery Picaud de Parthenay qui n’en représente qu’une petite partie et avec lequel il est souvent improprement confondu. Sous le titre de Guide du pèlerin, la traduction française de ce document a connu un tel succès de librairie que les pèlerins d’aujourd’hui finissent par croire qu’ils ont en main la copie conforme du guide de leurs prédécesseurs, ancêtre des topo-guides de la Fédération Française de la Randonnée Pédestre. On consultera avec profit à ce sujet la notice intitulée « Le Guide du Pèlerin, du Père Fita à l'itinéraire culturel européen » sur le  site saint Jacques et Compostelle de la Fondation David Parou (animé par Denise Péricard-Méa).
Je n'en retiens ici que quelques extraits qui attestent de la circulation de motifs relatifs aux Scoti (ce mot latin s'applique à la fois aux Irlandais, aux Ecossais, voire aux Bretons insulaires et même péninsulaires) et aux Cornubiani (des Cornouailles britanniques):

Les Navarrais et Basques se ressemblent à propos de l'alimentation, des repas et de la langue, mais les Basques ont le visage plus blanc que les Navarrais. Les Navarrais portent des habits noirs et courts qui s’arrêtent aux genoux à la mode des Scots [...] 

[...] On raconte communément que les Basques descendent de la race des Scots, car ils leur ressemblent par leurs coutumes et par leurs traits. On dit que Jules César envoya en Espagne trois peuples, à savoir les Nubiens, les Scots et les coués de Cornouaille pour faire la guerre aux peuples d'Espagne qui ne voulaient pas lui payer tribut. Il leur ordonna de faire périr par le glaive tous les mâles et d'épargner seulement la vie des femmes. Ayant envahi cette terre par la mer et après avoir détruit leurs bateaux, ils dévastèrent tout par le feu et par le glaive depuis Barcelone jusqu'à Saragosse et de Bayonne jusqu'au Mont Oca [= Burgos]. Ils ne purent dépasser ces limites car les Castillans s’unirent pour les chasser de leur territoire. Dans leur fuite, ils atteignirent les monts marins situés entre Nájera, Pampelune et Bayonne, c'est à dire le littoral de Biscaye et d'Álava qu’ils occupèrent, où ils construisirent de nombreuses forteresses et massacrèrent tous les mâles. S’étant emparé de leurs épouses par la force, ils eurent des enfants qui, par la suite, furent appelés Navarrais par leurs successeurs. Ainsi Navarrais veut dire « non vrai », car ils ne sont pas issus de race pure ni de souche légitime (Trad. J. Vieilliard collationnée avec B. Gicquel).

Quelques décennies plus tard, dans sa Topographie de l'Irlande, Giraud de Cambrie présente Bayonne comme le chef-lieu de la Gascogne "d'où sont venus les Irlandais" (Urbs Baonensis [...] Blasconie caput est unde Hibernensies provenerant). Les relations entre la péninsule ibérique et les Îles britanniques sont déjà évoquées chez des écrivains de l'Antiquité comme Tacite et Orose. Le jeu de mot entre  Iberi et Hiberni donne souvent lieu à des développements chez les auteurs médiévaux.
Encore plus significatif, le motif légendaire du "génocide originel" que l'on retrouve ici a son équivalent dans l'historiographie bretonne. Celle-ci a fait naguère l'objet d'une analyse fouillée par J-C. Cassard: « Le génocide originel : Armoricains et Bretons dans l'historiographie bretonne médiévale », ABPO,  1983 (90/3), p. 415-427.
Reste le sobriquet de « coués » (caudati: "pourvus d'une queue") appliqué aux Cornouaillais. Jeanne Vieilliard, qui a édité et traduit le Guide en 1938 note que ce "qualificatif est fréquemment attribué aux Anglais au Moyen Age". Elle renvoie à Du Cange qui cite Jacques de Vitry: Anglicos potatores et caudatos. Bien entendu, ce surnom reprend du service pendant la Guerre de Cent ans. Voir, C-V. Langlois, « Les Anglais du Moyen Âge d'après les sources françaises », RH , 52 (1893), p. 298-315. L'adjectif ne paraît pas avoir de connotation grivoise, mais relève plutôt du registre facétieux. Il est intéressant de le voir ici réservé aux seuls Cornouaillais. A titre d'hypothèse, on peut se demander si le terme ne désignait pas d'abord une mode de coiffure ("portant une queue de cheval"), comme les "couettes" (= "petites queues") aujourd'hui, avant toutes réinterprétations malveillantes ?


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