samedi 4 mai 2013

Gilbert de la Porrée, Cornificius

et la  la "Fête des Cônes" de Rimou.

 

Au début de son Métalogicon composé en 1159, Jean de Salisbury († 1180), s’en prend énergiquement aux disciples d’un énigmatique personnage qu’il surnomme ironiquement Cornificius, du nom d’un auteur latin contemporain de Cicéron. Selon le futur évêque de Chartres, ces « cornificiens » ne voient dans les études que les débouchés professionnels qu’elles promettent et les avantages matériels qu’ils envisagent d’en tirer.

Gilbert de la Porrée.
Le père Pierre Mandonnet, historien de la philosophie médiévale, identifiait ce Cornificius avec le maître parisien Galon qui enseignait avec succès sur la montagne Sainte-Geneviève au moment où Jean de Salisbury suivait à Paris  les leçons de Gilbert de la Porrée en 1141. Chancelier de la cathédrale de Chartres après 1126, ce dernier devient évêque de Poitiers en 1142, et meurt en 1154. C'est avant tout un théologien. A l’instar des principaux maîtres de l’école cathédrale de Chartres (Bernard, Thierry, Guillaume de Conches…), il se serait rangé parmi les « amis des lettres » adversaires résolus de ces partisans de l’« allégement des programmes » (E. Gilson) avant la lettre. Selon le Métalogicon, Gilbert « avait coutume, lorsqu’il les voyait courir aux études de leur conseiller le métier de boulanger. Il disait que dans son pays, ce métier était le seul qui acceptât tous ceux qui n’avaient pas d’autre métier ni d’autre travail. Il est très facile à exercer, il est l’auxiliaire de tous les autres et il convient surtout à ceux qui cherchent moins l’instruction qu’un gagne-pain » (trad. E. Gilson).
Sans doute cette critique rend-elle compte du choix par Jean de Salisbury de ce surnom qui signifie étymologiquement « fabricant de cornes », c'est-à-dire de « croissants ». En effet, à l’encontre de la légende qui veut que ces « viennoiseries » aient été inventées par les boulangers de Vienne pour commémorer l’échec du siège de la capitale autrichienne par les Turcs en 1683, ces pâtisseries étaient déjà très prisées au Moyen Âge. Par exemple, les Comptes généraux de Tournai (1463) font état de croissants au beurre, achetés à la douzaine et fort appréciés.
Quant aux « cornes » de Cornificius, on en retrouve encore l’écho dans les pages locales du quotidien Ouest-France (11 août 2012) qui annonce la fête communale annuelle de Rimou (Ille-et-Vilaine), appelée « la Fête des Cônes ». À l’occasion de la messe du 15 août, on y bénit, des petits pains cruciformes dénommés « cônes » en parler du pays, « parce qu’ils ressemblent à deux paires de cornes croisées ». On les emporte chez soi pour se protéger de la foudre. Des milliers de visiteurs viennent pour assister à la messe et aux festivités qui suivent la cérémonie religieuse.
Rimou: la bénédiction des cônes.
Selon le président du Comité des fêtes de Rimou, « la légende raconte que, dans un village de Rimou, une fermière qui pétrissait son pain fut surprise par un violent orage et tomba à genoux en lâchant ses pâtons qu'elle fabriquait. Elle pria la Sainte Vierge. Lorsque l'orage s'arrêta, elle s'aperçut qu'en tombant par terre, la pâte s'était divisée en deux morceaux, formant une croix en s'assemblant. Pour faire vivre cette tradition, une confrérie a été fondée, dite confrérie Notre-Dame de l'Assomption. Elle se compose de deux entrants, deux donnants et deux sortants. Les sortants doivent trouver leurs successeurs. Les donnants fournissent le blé qui sera transformé en farine pour que des boulangers confectionnent environ 2 000 cônes. »
Le témoignage du folkloriste A. Orain à la fin du XIXe s. est encore plus savoureux (1897). « Depuis bien des siècles, il existe dans la commune de Rimou la confrérie des Cornes, dont la fête est célébrée le jour de l’assemblée de l’endroit. Pour être membre de ladite confrérie ou cornard (on prononce cônard), on paie deux sous seulement, moyennant lesquels chaque souscripteur a droit à sa quote-part des 52 messes qui sont dites chaque année à Rimou à l’intention desdits cônards, et en plus à une corne d’un petit pain à quatre cornes. Quand on est un membre sérieux, on ne laisse pas le bedeau vous détacher une corne du pain ; on paie 30 centimes de supplément pour l’avoir tout entier. Ce pain passe pour se conserver indéfiniment sans moisir ni se putréfier, mais non pas sans durcir […] La confrérie comprend 12 à 1500 adeptes car les habitants des communes voisines se font également inscrire comme cônards ».

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